L’histoire de l’automobile regorge de véhicules emblématiques qui ont laissé une empreinte industrielle indélébile. Les Mercedes-Benz W114-W115 en font partie. En effet, le développement de ces modèles qui incarnent le luxe, la fiabilité, la qualité et la performance, évoluant au fil des décennies a fixé les bases de la désormais légendaire Classe E de Mercedes-Benz. Dans cet article, nous allons nous replonger dans le passé pour comprendre comment ces voitures ont ouvert la voie de la Classe E que nous connaissons aujourd’hui.
L’arrivée des Mercedes Benz W114-W115
Les Mercedes-Benz W114 et W115 -appelées « Stroke-8 ou Strich-Acht » en interne- sont des voitures du segment intermédiaire produites entre 1968 et 1976. Succédant à la W110 Heckflosse datée avec ses ailerons, elle cédera la place à la W123. A l’époque, ces voitures constituent l’entrée de gamme Mercedes-Benz dessiné par le français Paul Bracq -designer en chef de Mercedes-Benz de 1957 à 1967- dont ce sera le dernier travail pour la marque à l’étoile.
Dévoilée en janvier 1968, la gamme se décline dans un premier temps selon 6 modèles, de la 200 D (W115) de 55 cv, à la 250 (W114) au moteur 6 cylindres à carburateur.
Présentation générale
La carrosserie, sur base de W108, est plus compacte que cette dernière (21,5 cm plus courte et 4,5 cm plus étroite) et dotée de zones à déformation progressive. L’essieu avant, à double triangulation, et l’essieu arrière, à bras semi-tirés, en améliorent considérablement le comportement routier sans diminuer le confort de conduite. Des freins à disque sur les quatre roues équipent toute la gamme.
La W114 est animée par des moteurs 6 cylindres en ligne essence offrant des puissances allant de 120 à 185 cv selon la cylindrée du moteur (2.3 litres, 2.5 litres ou 2.8 litres) qui détermine l’appellation, 230, 250 ou 280.
De leur côté, les modèles W115 sont dotés de nouveaux moteurs à 4 et 5 cylindres à essence ou diesel. Ils sont commercialisés sous les noms de 200, 220, 230 et 240 et développent des puissances allant de 55 à 110 cv. Les modèles diesel portent la lettre D dans leur appellation contrairement aux modèles à essence dont le nom se limite à la cylindrée en cm3 (ex. : 220 = essence ; 220 D = diesel).
En 1974, le premier moteur diesel à 5 cylindres au monde est installé sur la 240 D 3.0. Il s’agit, à l’époque, du moteur diesel le plus puissant au monde qui affiche pas moins de 80 cv. Sa robustesse et sa longévité ont forgé sa réputation. Un taxi grec W115 240 D qui a parcouru plus de 4 600 000 km avec trois changements de moteur est ainsi exposé au musée Mercedes-Benz de Stuttgart.
Il est à noter que le sobriquet « Stroke-8 / Strich-Acht » provient de l’appellation -non officielle- accolée au nom du modèle pour en préciser l’année de production. Pour le millésime 1968, les voitures sont nommées « W114/8 » et « W115/8 ». Aujourd’hui, « Stroke-8 / Strich-Acht » évoque toute cette génération de véhicules 114/115.
L’un des aspects les plus remarquables de la « Stroke-8 / Strich-Acht » est son design intemporel à l’allure élégante et classique, avec des lignes épurées, des phares avant verticaux façon Pagode, qui ont traversé les modes et les époques. À l’intérieur, l’attention portée aux détails est manifeste, avec des matériaux de haute qualité et des agencements fonctionnels et ergonomiques. Les sièges confortables et le tableau de bord bien conçu donnent un caractère accueillant à l’habitacle où chaque détail est pensé pour offrir un réel plaisir de conduite.
Des équipements optionnels pléthoriques
Lors du lancement en 1968, de très nombreuses options sont disponibles, et peuvent faire grimper le prix jusqu’à des sommes astronomiques pour l’époque : vitres électriques, toit ouvrant électrique, climatisation, phares halogènes, jantes alliage, peinture métallisée pour les six cylindres, autoradio Becker, verrouillage centralisé…
A titre d’exemple, une 280 E avec un équipement complet, c’est-à-dire comprenant une transmission automatique, une direction assistée, des vitres teintées, un toit ouvrant, un intérieur en cuir, des appuie-tête, un rétroviseur extérieur droit, un contrôle de niveau sur l’essieu arrière, un dispositif de remorquage, etc… coûtait plus de 40 000 DM en 1972, alors qu’un véhicule doté d’un équipement de base avec un moteur essence de 2,0 litres était vendu 13 000 DM !
Quelques modèles à la loupe
Les coupés
En novembre 1968, la gamme s’étoffe avec deux coupés à moteur 6 cylindres, la 250 C (coupé à carburateur) et 250 CE (coupé à injection mécanique Bosch D-jetronic). Il s’agit des premiers coupés du milieu de gamme supérieure construits par Mercedes-Benz. Reprenant la longueur et l’empattement de la berline, ces modèles se distinguent par un pare-brise plus incliné, un toit plus bas de 45 mm, des bandeaux chromés courant le long du toit, des fenêtres totalement escamotables -sans montant- ainsi que deux grandes portières.
En avril 1972, la gamme des coupés s’enrichit avec les modèles 280 C (carburateur) et 280 CE (injection). Leurs nouveaux 6 cylindres à deux arbres à cames en tête développent 160 cv en version carburateur et 185 cv en version injection. Ils sont reconnaissables grâce au double pare-chocs avant -comme pour le 250-, au pare-chocs arrière qui se prolonge jusqu’aux passages de roues ainsi qu’à leur double sortie d’échappement chromée. Simultanément, les 250 C et 250 CE reçoivent un moteur 2.8 litres d’ancienne génération qui ne développe que 130 cv.
Les limousines
Sensible aux exigences de sa clientèle, Mercedes-Benz commercialise une version « Limousine » des W114-W115 dont l’exclusivité est à la hauteur de sa production : 10 000 exemplaires. Avec son empattement rallongé de 65 cm par rapport à la berline (5,33 m contre 4,68 m), elle est très appréciée des grands hôtels, des ambassades, des flottes de taxis et des administrations. Disponible en version 220 D (W115) et 230 (W114) puis, à partir de l’automne 1973, en 240 D (W115) et 230.6 (W114), elle possède 3 rangées de sièges permettant d’accueillir jusqu’à 8 passagers !
Cette version longue de la berline est également disponible avec un châssis à carrosserie partielle que Mercedes-Benz livre à des carrossiers spécialisés et réputés comme Binz à Lorch, Miesen à Bonn et Pollmann à Brême pour la production d’ambulances ou de corbillards !
Pour l’anecdote, une 230 à châssis long apparait dans le film « L’aile ou la cuisse » avec Louis de Funès à son bord !
La W115 pick-up
Au début des années 70, Mercedes-Benz qui est déjà implanté en Argentine depuis le début des années 50, se rend compte de l’émergence d’une clientèle rurale, désireuse d’un véhicule robuste, pratique et valorisant. Pour répondre à cette demande, la marque propose un véhicule spécifique en CKD (complete knock down – pratique qui consiste à exporter un véhicule en kit puis à l’assembler dans le pays d’importation), avec deux variantes de pick-up, un à simple cabine et l’autre à double cabine.
Entre 1971 et 1976, Mercedes environ 1200 exemplaires de la 220 D pick-up sont produits, ce qui en fait une rareté aujourd’hui, même en Argentine
Evolutions des W114-W115
Un restylage majeur intervient en 1973 et concerne essentiellement des éléments de sécurité avec des rétroviseurs extérieurs mobiles et réglables de l’intérieur, une gouttière chromée d’évacuation de l’eau sur la lunette arrière et sur les montants de pare-brise afin d’améliorer la visibilité, des appuie-têtes, des ceintures de sécurité à enrouleur automatique et un volant rembourré à quatre branches.
Les retouches esthétiques extérieures sont quant à elles mineures : un pare-chocs simple sur toute la gamme remplace les doubles pare-chocs, les déflecteurs latéraux disparaissent, le capot moteur est plus bas et plus large, la calandre plus basse et plus large, le radiateur plus large et les feux arrière striés « anti-salissure » remplacent les feux lisses.
A l’intérieur du véhicule, la boîte de vitesse est désormais au plancher.
Deux nouveaux quatre cylindres font leur apparition : le 240 D qui devient le moteur diesel le plus puissant et le 230/4 (4 cylindres) à essence.
En juillet 1974, la gamme s’enrichit avec le modèle 240 D 3.0, un cinq cylindre diesel de 3 litres développant 80 cv.
Caractéristiques techniques
Voici les caractéristiques techniques des principaux modèles W115 (tableau 1) et W114 (tableau 2) :
Tableau 1 – W115 (4 et 5 cylindres diesel et essence)
Tableau 2 – W114 (6 cylindres essence)
Au final, ces premières Mercedes de « gamme intermédiaire » ont été produites à un peu plus de 1 900 000 exemplaires. Près de la moitié des berlines W115 est vendue avec des moteurs diesel (932 594 exemplaires). Seuls 67 048 coupés W114 -6 cylindres- sont sortis des usines de Sindelfingen et plus de 60 % d’entre eux ont été exportés. Ceci en fait le modèle le plus rare du « Stroke-8 » sur les routes.
Même si la sortie des W114-W115 apparaît aujourd’hui lointaine, son héritage perdure malgré la retraite du « Stroke-8 », en 1976, qui laisse la place au W123. Ce modèle est une icône indémodable dans le monde automobile, mélange de performance, de design élégant et de fiabilité. Il continue d’attirer l’attention et de captiver les amoureux des voitures du monde entier. Que ce soit en collection ou simplement pour en apprécier l’héritage, la « Stroke-8 » reste une pièce maîtresse de l’histoire de la marque à l’étoile.
Auteur de l’article : Alain LEMERCIER
Remerciements à Arnaud et à Daniel pour leur travail de relecture
Article très intéressant et très bien illustré
Un bel article qui a sa place dans ce blog et qui démontre la fiabilité et le côté avant-gardiste de la marque à l Étoile,merci Alain
Ayant possédé une 240D entre 1977 et 1982 j'ai découvert l'histoire de ces modèles mythiques.
Belle rétrospective généreusement illustrée ! Document à conserver . Merci Alain !